Les Vertiges de la Peur
un montage de la cie du frangipanier · CIE Le Frangipanier
l’absurde dévoile le réel et la peur révèle l’humain
Ce montage théâtral rassemble des extraits d’œuvres très différentes par leur forme, leur époque et leur style, mais qui résonnent toutes autour de thématiques communes telles que la peur, l’absurde, le contrôle social, les rapports de domination et la fragilité de l’être humain face aux structures qui l’oppressent. Il en résulte un spectacle éclaté et organique, à la fois grinçant, poétique et profondément humain, où chaque fragment vient enrichir une réflexion globale sur la condition contemporaine.
La pièce s’ouvre avec « Maman 10 fois » de Jean-Claude Grumberg, qui aborde sur un ton à la fois léger et cruel les liens familiaux et la répétition tragique de schémas oppressifs. Ce texte court, en apparence anodin, met en lumière la banalité d’une parole autoritaire maternelle qui, répétée jusqu’à l’épuisement, devient étouffante. Cette parole écrasante résonne comme un leitmotiv oppressant, évoquant des rapports familiaux marqués par la domination et l’aliénation.
Dans un registre tout à fait différent, « Hop là », court film d’animation réalisé par Juliette Baily, vient interrompre la linéarité dramatique par une pause visuelle et chorégraphique. Ce moment poétique, presque muet, utilise la répétition des gestes du quotidien pour interroger le vide et la mécanique de la routine. Ce souffle animé agit comme un interstice sensible dans la trame du spectacle, un instant suspendu qui évoque la perte de sens dans nos gestes les plus simples.
« Hé par ici » de Rémi De Vos nous plonge ensuite dans une absurdité plus frontale, où la violence sociale s’exprime à travers un dialogue apparemment anodin mais sous-tendu par une logique oppressive. L’humour noir de l’auteur révèle une société où le langage est dévoyé, les intentions masquées, et où l’absurde devient un miroir déformant de la réalité. Ce texte illustre brillamment comment le non-sens peut devenir un outil de domination.
La tension monte encore avec « Le Mouchard » de Bertolt Brecht, où le soupçon, la dénonciation et la surveillance généralisée deviennent les piliers d’un ordre social totalitaire. Dans ce fragment, Brecht met en scène une société où chacun devient un potentiel informateur, où la peur dicte les comportements, et où l’individu disparaît au profit de la masse surveillée. La pièce interroge notre responsabilité morale face à l’injustice et notre capacité (ou non) à résister à l’oppression.
Dans un virage comique mais non moins angoissant, « Ça fait peur non » de Jean-Michel Ribes traite la peur sur un mode burlesque. À travers des situations absurdes et surréalistes, il dévoile l’irrationalité de nos angoisses modernes, souvent nourries par les médias, les fantasmes collectifs et les paranoïas individuelles. Le rire, ici, devient un outil de dénonciation, une manière de désamorcer le tragique tout en en montrant la persistance.
Changement de ton radical avec « L’emprise » de Chloé Delaume, extrait de la série H24 produite par Arte, qui donne la parole à une femme victime de violences psychologiques. Ce texte cru et direct expose l’intimité d’une emprise invisible mais destructrice. En contraste avec l’humour noir des scènes précédentes, cette séquence impose le silence et la gravité, et force le spectateur à écouter la parole d’une femme trop souvent ignorée ou minimisée.
Enfin, « Une nuit au bouge » de Charles Méré, emblématique du théâtre du Grand Guignol, clôt la pièce dans un registre horrifique et grotesque. Ce théâtre de la peur, à la fois caricatural et viscéral, évoque des pulsions humaines extrêmes, où le corps devient terrain de jeu de la terreur. Ce dernier tableau, en flirtant avec l’exagération et la provocation, donne une dimension cathartique au montage, laissant le public face à ses propres peurs, entre frissons et rires nerveux.
En articulant ces textes entre eux, le spectacle crée un parcours sensoriel et intellectuel dense, où l’humour, la peur, la tendresse, l’indignation et la poésie se côtoient sans cesse. Il s’agit moins d’un simple assemblage que d’un tissage volontaire, une mosaïque de voix et de formes qui dessinent un portrait éclaté mais cohérent de notre époque : une époque où le pouvoir prend des formes multiples, souvent insidieuses, et où le théâtre devient un lieu de résistance, de révélation et de réflexion.
Générique
- Mise en scène
- Anne-Charlotte Dupuis
- Gilles Comode
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- Avec
- Annie Mantel
- Bénédicte Péridont
- Housna El Farj
- Lolita Picquet
- Huage Chen
- Jonathan Vigueur
- Pascale Dutilh
- Stépahnie Bregentzer